
Il y a 915 années (29 tamouz 4865 – 13 juillet 1105), Rachi quittait ce monde pour rejoindre l’éternité, une éternité céleste, mais encore une éternité terrestre. En effet, neuf siècles après, Rachi est toujours à la page, à la page de la Bible, à la page du Talmud que l’on étudie.
Rachi est sans doute à la fois le commentateur le plus lu et le plus commenté de notre histoire. Il est auréolé de façon méritée du titre de commentateur le plus populaire de la Bible et du Talmud.
Si populaire, qu’il est presque inutile de faire son éloge, tant il est le quotidien de l’étude.
Si populaire, que tantôt on le rapporte, sans savoir que c’est lui, et parfois, comble de son succès, on le cite, du moins le croit-on, tant on pense à lui en premier.
Si populaire qu’il apparaît pratiquement vain de célébrer un tel anniversaire. Et pourtant, son œuvre n’a pas fini de nous étonner. Tous les fleuves vont à la mer et la mer n’est pas remplie. Une citation du roi Salomon qui sied à merveille à l’œuvre incommensurable du génial et modeste Rabbi Salomon fils d’Isaac. Un sage, qui dans ses explications, va jusqu’à écrire « je ne sais pas », quand il n’a pas de réponse à livrer.
Voilà déjà une belle et si contemporaine leçon que nous inculque le maître de Troyes, en cette période si particulière de pandémie, où l’allure fière de la prévision statistique et le ton sûr de la prophétie scientifique semblent céder le pas à l’humilité du « je ne sais pas ».
Mais ce n’est pas tout. Certes, cet aveu de Rachi offre une exquise et incomparable leçon de modestie de la part d’un géant parmi les géants, qui pourrait joyeusement nous combler, seulement voici, la leçon n’est que sous-entendue. Il est même difficile de soutenir que la raison pour laquelle Rachi avouerait ses limites serait pour qu’on prenne exemple sur sa modestie, ce qui serait un comble pour enseigner cette qualité. Par conséquent, cette leçon n’est sûrement pas le principal message.
En toute logique, si Rachi tient à dire qu’il ne sait pas répondre, c’est d’abord pour souligner qu’il existe sur place dans le texte, une question à ne surtout pas occulter, malgré l’impossibilité d’y répondre. Suggérée la plupart du temps mais toujours omniprésente, la question s’invite à toutes les occasions.
Cette leçon de tout premier plan vaut pour tout étudiant, pour tout pédagogue, mais aussi, pour tout un chacun dans la vie : ne jamais cesser de se questionner, ni désespérer, ni abandonner, même quand il semble ne pas y avoir de solution à l’horizon. L’interrogation est le pouls de l’étude, la respiration de la vie. Elle féconde nos réponses, et sous cet angle, elle est par nature espérance.
Dans un monde qui offre désormais plus de questions que de réponses, il n’y a donc pas lieu d’être intimidé. Le « monde d’après » est un futur qui doit se conjuguer au présent, même quand il semble ne pas y avoir de solution à l’horizon. Pour être salutaire, ce présent est à vivre comme un divin présent que l’on reçoit à chaque instant.