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RACHI son portrait, son caractère par Abba SAMOUN (z’l)

Toute la vie de Rachi se déroulait dans le cadre d’une grande intégrité morale. L’enseignement prodigué à ses élèves était l’image de sa propre vie. Il ne vivait que par et pour la Torah, et certains caractères acquis de l’extérieur — après en avoir expulsé et chassé tout ce qui est profane — n’étaient, en fait, qu’une partie de lui-même et jaillissaient du sein de sa modestie naturelle.

On ne trouve ni dans ses paroles, ni dans ses écrits aucun signe ou sentiment d’orgueil ou de fierté. Sa conduite n’était qu’une parfaite harmonie de toutes les forces de son âme.

On peut décrire certains savants ou écrivains d’après leurs travaux ou leurs écrits, mais entre leurs œuvres et leur manière de vivre, il n’y a pas forcément de lien. Ce n’est pas le cas de Rachi où sa grandeur ne paraît pas seulement dans ses œuvres, mais également dans son mode de vie.

Sa simplicité était visible à chaque instant, que ce soit à la maison d’études ou chez lui à la maison. Nous le trouvons, par exemple, en train d’aider aux tâches ménagères et de moudre les épices en l’honneur des jours de fêtes (1). Nous avons connaissance de ses habitudes domestiques car, le Saint Maître, selon ses élèves, menait toutes ses actions uniquement pour l’amour de D…

Sa simplicité n’avait d’égale que sa modestie. Il cherchait à fréquenter les gens humbles et vivait en leur compagnie. Il avait l’habitude de parler en douceur, semblable à un élève devant son maître et paraissait comme s’il donnait plutôt un avis. Nous trouvons à maintes reprises ce genre d’expressions : « Je suis le plus jeune parmi les grands serviteurs » — Je lui dis bonjour et le salue comme un élève à son maître » — « J’ai peur de transgresser sa décision ». ou bien, « Je n’ai pas besoin d’être sollicité pour cela car je n’ose pas répondre à mon maître, et je confirme ce qui est dit comme il m’a été montré par le Ciel » (2), ou encore, « Dans votre lettre vous me demandez de lever l’excommunication ; loin de moi de m’ériger et de me constituer en tribunal ; si je siégeais parmi vous, j’aurais penché pour un avis plutôt favorable, mais qui suis-je pour prendre la place des autres ? je suis le plus pauvre et le moins savant, mes mains sont orphelines ; que l’intéressé s’amende, qu’il demande pardon et annulez cette excommunication » (3).

Quand il lui arrivait de trouver une erreur chez ses collègues, il les jugeait favorablement et mettait cela sur le compte d’une insuffisance d’attention ; par contre, quand lui-même se trompait, il n’a jamais essayé de se dérober et, il avouait : « Oui, je permettais cette chose jusqu’à ce jour mais je me suis trompé ; j’ai été dans l’erreur » (4) — « J’ai été interrogé sur ce sujet il y a quelques années et j’y avais répondu. Maintenant, je reconnais m’être trompé et tous mes remerciements vont à mon frère (collègue), qu’il continue à être fort car j’ai beaucoup appris de son analyse, c’est la logique même et je reviens donc sur ma première décision » (5). De tels langages sont courants dans tous ses écrits et souvent à l’instar de Moïse « a avoué et n’a pas rougi » (6).

Une belle maxime a été dite sur lui : si l’Ecole de Hillel a eu le privilège de voir la HALA’HA s’établir selon sa doctrine, c’est parce que le Maître et ses élèves étaient humbles et modestes ; il en a été ainsi pour tous les commentaires de Rachi qui ont été acceptés dans le monde entier, car sa modestie était comparable à celle de Hillel.

On peut se rendre compte facilement que Rachi lui-même ignorait totalement sa valeur, comme ces belles fleurs qui envahissent les champs et l’embellissent par leurs couleurs variées. Il a dispensé les trésors de son âme et a abreuvé le public de son enseignement, comparable à cette rivière qui arrose normalement des champs sans qu’elle sache que, sans elle, ils seraient arides et improductifs.

Il avait une grande appréhension avant de prendre une décision, mais, lorsqu’il le faisait, il était assez ferme pour convaincre .
Il prêtait une attention particulière aux problèmes de la paix et de l’unité : « Détestable est la dispute, grande est la paix » et il disait encore « Faites attention et poursuivez la paix, regardez autour de vous ce qui est arrivé à vos voisins, un grand coup leur a été porté et déjà ils sont méprisé? par les non-juifs ; seule, la paix pourra vous apporter l’aide nécessaire et personne ne vo\is dominera » (7). Nos Sages disent : « Grande est la paix qui a été donnée dans la part des justes et non dans celle des méchants ; que Celui dont le Nom et la bénédiction sont Chalom, déverse sur vous les trésors de la paix » (8).

RACHI ET LA TRADITION

Il chérissait les traditions et était sensible quant à leur observance. Il écrivait : « Ecoute mon fils la morale de ton père (proverbes). Il est bon d’agir selon la bonne tradition ; après tout, les traditions n’ont pas été établies pour rien car les anciens y ont vu du bien et il ne faut pas s’y détourner » (9). « Si les fils d’Israël, dans la diaspora, ne sont pas prophètes, ils sont néanmoins fils de prophètes et il ne faut pas changer la belle et magnifique tradition (10), car il a été dit que toute décision sur une HALA’HA en suspens dans le Talmud et que tu ne connais pas son mode d’application, sort et regarde comment est établie la tradition publique et suis la. » Ainsi, nous en avons pris l’habitude quand il s’agit d’une jurisprudence, car il existe un enseignement que la Tradition fixée par les derniers maîtres a force de loi ; de même il est écrit « n’abandonne pas la loi de ta mère » (proverbes), c’est le MINHAG, la tradition. Seulement, cet amour des traditions ne l’empêchait pas d’en attaquer quelques-unes « quand elles n’étaient pas conformes à la Loi » et il concluait « c’est un devoir que d’oublier cette tradition, de l’abaisser et d’y construire une haie tout autour » (11). La base de son attachement à la tradition était son amour du peuple juif qui la pratiquait parce qu’il est issu des Prophètes ; dans la diaspora, la Tradition unit Israël et il convient d’y faire attention pour quïl n’y ait pas de division au sein de la Communauté.

L’AMOUR DU PEUPLE JUIF

Son amour pour les juifs n’avait pas de limite. Il était bon et clément envers ceux qui s’étaient convertis sous la menace ; il leur trouvait, bien sûr, des circonstances atténuantes et disait que, même un Cohen converti par la force et revenu à la foi de ses pères, doit retrouver, sans aucune restriction, tous les privilèges dus à son rang. Il interdisait que l’on rappela devant ces anciens convertis, leurs anciennes fautes et exigeait qu’on les juge favorablement et il rappelait cette sentence « que là où les pénitents, les BAALE TECHOUVA, sont placés, aucun parmi les justes ne peut s’y mettre » (12). Il ne repoussait pas non plus les juifs non pratiquants et proclamait à maintes reprises « bien qu’ils aient fauté, ce sont des Fils d’Israël à part entière ; ils comptent pour le Minyane (quorum pour l’office), ils sont astreints au Guet (acte de divorce), au Levirat .au mariage religieux ; seulement, en ce qui concerne les interdictions, on ne peut leur faire confiance car ils sont coupables de les transgresser » et il terminait par « Que le Rocher d’Israël éclaire nos yeux par la lumière de sa Torah » (13).

C’est également son amour pour ses coreligionnaires qui a fixé les bonnes relations qu’il entretenait avec les non-juifs. Il cherchait à faciliter le commerce avec eux, car, disait-il, on a besoin d’eux, nous habitons avec eux, nous vivons avec eux (14). Mais, par contre, il était très ferme sur les problèmes doctrinaux qui se posaient dans ces relations.

Sa bienveillance pour Israël et pour sa tradition l’amenait à être souple dans ses décisions. Il écrivait : « Il serait préférable de nous faire écouter la voix de celui qui autorise car il a des appuis et des références pour étayer sa décision et n’a pas peur de permettre ; mais la voix de celui qui interdit n’est pas solide, car n’importe qui peut interdire même ce qui est permis » (15). « Qu’il ne vous soit pas facile de gaspiller de l’argent de votre prochain que la Torah protège et qu’il vous soit aussi cher que le vôtre » (16).

LA PIETE DE RACHI

Il est certain que Rachi connaissait les HASSIDIMS, qu’il a étudié tous les ouvrages de la SAGESSE CACHEE, les livres du SOD, de la YETSIRA, PIRKE RABBI ELEEZER, etc.. ; c’est sûr aussi qu’il a approfondi les études du ZOHAR et de la KABALAH ; mais pour lui, seul comptait le point de vue de la AGADAH talmudique (Homilétique) qui lui plaisait et il n’a point cherché à innover dans son esprit.

Dans la AGADAH, il voyait une certaine unité, comme l’harmonie des couleurs ou la symphonie des voix. Les paroles qui paraissaient anciennes étaient pour lui comme nouvelles et le réjouissaient comme si elles venaient d’être dites. Son esprit net et clair ne supportait aucun trouble, son langage limpide repoussait tout brouillard. Il ne trouvait pas de satisfaction dans l’étude de la théophanie (17).

Dans ses actions comme dans ses paroles, étaient dévoilées sa bienveillance, sa charité, son hassidisme éminent ; son âme était remplie de la crainte du Ciel, de l’amour de D… « La crainte de D… est très importante et est imposée sur toutes les créatures » (18) — « Les hommes qui ne reconnaissent pas leur créateur, leur esprit est semblable à celui d’un animal » (19) — « L’homme qui a péché a abîmé sa sainteté » (20) — a Là-bas, dans le monde de la vérité, est connu celui qui est élevé ou abaissé, car là-haut, celui qui est élevé c’est pour toujours, et celui qui est abaissé, c’est aussi pour toujours » (21).

La chaîne qui traverse ses actions et son regard, c’est toujours l’amour de la Torah. car celui qui n’a pas la passion des paroles de la Torah, même les analyses objectives lui paraissent sans valeur ; mais celui qui a l’amour de la Torah et de D…, même les textes qui lui parviennent avec difficultés et fatigue, lui paraissent doux » (22) — « Celui qui étudie et médite les textes sacrés de la Torah, il y découvre toujours de nouvelles explications » (23) — « C’est un grand idéal pour celui qui étudie la Torah dans sa vérité, car il ne peut trouver ni oubli ni dispute » (24) — « Dans l’étude, il faut peiner avec sueur et soif (25), il faut répéter, apprendre en profondeur de façon que si quelqu’un te pose une question, tu dois répondre de suite sans aucune hésitation » (26).
Mais sa piété ne l’empêchait pas de vivre dans le cadre de la vie quotidienne et de tout ce qui l’entourait. C’était un grand observateur (27). Le joug céleste qu’il supportait n’était pas assez austère pour que les gens s’en éloignent : au contraire, par ses paroles, son visage serein, sa patience, la joie, illuminaient son regard et ses paroles étaient écoutées. « Celui qui a un bon cœur, toutes ses heures ressemblent à des journées de fêtes » (28) — « Celui qui a une force d’âme pour éloigner de son cœur toute inquiétude, accepte avec joie et amour tout ce qui lui arrive » (29).

Parfois, le rire et la plaisanterie ne manquaient pas dans son enseignement. Ainsi, lorsqu’un élève le questionna au sujet du vin contenu dans une cruche tenue par un juif et qu’un NOH’RI (non juif idolâtre) a bousculé à tel point que le vin s’est renversé, le vin devient-il NESSE’H ? (impropre à la consommation des juifs) est-il donc interdit ? Rachi lui a répondu que c’est permis, mais en ajoutant sur un air de plaisanterie, ce qui est renversé par terre est interdit mais le restant de la cruche est permis (30). « Celui qui jette un coup d’œil sur le verre (KOSS) (31) — (dans le verset il est écrit KISS (poche) mais se lit KOSS (verre) —, cela veut dire que le buveur regarde le verre et le marchand de vin regarde dans la poche (du buveur) ».

RACHI OBSERVATEUR

Rachi observait avec une attention particulière tout ce qui l’entourait ; sa description de la nature émerveillait par le ton poétique qu’il utilisait : « Plusieurs choses agréables à la vue réjouissent le cœur et poussent sa tristesse comme l’effet produit par la vue d’un jardin verdoyant, ou d’une rivière qui coule » (32) — « L’Eternel a appelé la Création « LUMIERE » car II l’a créé de la splendeur rayonnante de son enveloppe » (33) — « Quand la pluie tombe sur une pelouse et que le soleil y jette ses rayons, elle paraît briller comme un miroir » (34) — « Les plans d’eau semblent être comme rouge quand le soleil les éclaire le matin » (35) — « Comme la lumière qui traverse les nuages le matin et qui blanchit les vastes plaines » (36). Sûrement une âme poétique l’inspirait.

Rachi se distinguait aussi par une des rares qualités que l’on peut appeler « Réalités de la pensée » ; toutes ses idées étaient nettes et semblaient déjà comme réalités à ses yeux. Cette qualité était essentielle pour ses conférences sur la HALA’HA ou sur les Commentaires car elle est convaincante. Ses vastes connaissances étaient multiples et variées ; les savants de l’époque ne puisaient pas seulement leurs sciences dans les livres mais également dans l’observation de la vie quotidienne. L’homme qui avait beaucoup vu, assez entendu et savait observer, pouvait acquérir d’énormes richesses et apprendre le mode de vie des hommes et des pays. Il semble que Rachi ne possédait aucun ouvrage étranger pour étancher sa soif de connaissance : « il ne peut pas arriver à l’esprit qu’un homme dise : j’ai déjà appris la sagesse d’Israël, je vais aller apprendre celle des nations » (37). Les principales connaissances du monde entier durant cette période étaient décrites dans le livre « HA’HMONI » de Rabbi Chabettay Donlo et Rachi connaissait parfaitement ce livre qu’il citait. Ce qu’il pouvait ajouter ou rectifier à travers ses expériences, il le faisait et, de par ses connaissances tal-mudiques, il avait le don de clarifier les généralités.

Certes, d’autres maîtres ont également étudié et approfondi les textes tal-mudiques et les commantaires bibliques mais personne n’a fait autant de « découvertes » que Rachi. Cela est dû à la modestie et à la simplicité qui le caractérisaient car il se considérait comme encore ignorant et cherchait à savoir davantage afin d’enrichir ses connaissances.

Il cherchait à voir, à connaître, à comprendre tout. A Troyes, sa ville natale, les occasions ne lui manquèrent pas de satisfaire sa curiosité saine où tout un monde de commerce et d’artisanat évoluait.

Comme un peintre, il reproduisait exactement avec force de détails ce qu’il voyait, ce qu’il entendait. A l’écouter, on aurait dit que l’on avait affaire à un spécialiste tellement son expérience était rapportée. Voyons quelques-unes seulement de ses descriptions :
La frappe des monnaies : « La monnaie était coulée dans des moules. Des pièces étaient prêtes pour la presse : dans notre ville j’ai vu comment on fabriquait la monnaie (38).

Les forgerons : « Quand le fer est porté au rouge, il est alors façonné ; on le plonge ensuite dans l’eau froide ; c’est ainsi que se termine le travail du fer car si le feu le ramollit et peut le briser, l’eau arrête son bouillonnement » (39).

Tailleurs de pierre : « L’habitude des tailleurs et des graveurs de pierre, c’est qu’une fois la gravure faite, on y coule du plomb pour donner une couleur noire aux lettres, ce qu’on ne peut faire au moyen d’un crayon qui est plus tendre par rapport à la pierre » (40).

Verriers : « La verrerie est façonnée avec le souffle de l’homme : l’artisan a un tube, il prend du verre et y souffle donnant la forme voulue aux objets en verre » (41).

Les bateaux : « Toutes les villes et villages des bords de mer ne sont pas forcément des ports et les bateaux ne peuvent y accoster » (42) — « Le mât est un poteau de bois planté daas le bateau et sur lequel on accroche les voiles ; il y a plusieurs trous où on passe les cordes ; à l’extrémité se trouve le gouvernail qui est une large planche qui sert à manœuvrer le bateau ; il n’est utilisé que par le Maître de bord que la michna appelle « KABRANIT » (capitaine) (43). Pour fabriquer un radeau, on assemble des planches et on les attache l’une à côté de l’autre ; on le munit de flotteurs et il navigue sur l’eau » (44).

Les chasseurs d’oiseaux : « Le chasseur attache une corde aux extrémités du filet qu’il tend et, quand les oiseaux s’y posent, il lâche les cordes et les oiseaux sont pris au piège » (45).

Rachi a aussi décrit avec force de détails les maisons, la fabrication des armes, la pisciculture et l’apiculture. Ses connaissances n’ont pas fini d’étonner son entourage, son époque et la nôtre également.

Si nous savons ce qu’était Rachi. il faut aussi savoir ce qu’il n’était pas. Il y a des maîtres dont la prestance, la vigueur et la force autorisent à être à la tête d’une communauté ; d’autres dirigent selon l’esprit de leur génération, rédigent les écrits anciens et les transmettent. Rachi était une véritable encyclopédie, un véritable enseignant, il n’était ni chef de communauté, ni un créateur d’Associations. Un homme comme lui peut être écouté par toutes les couches de la population, du savant à l’enfant ; véritable pédagogue, il ne terrorisail ni son public ni ses élèves ; c’était un rassembleur pour le présent et pour le futur ; il a su nous transmettre, son enseignement pour toutes les générations.

Rachi reste l’exemple idéal pour chaque juif ; il a réuni toutes les qualités dont s’est distingué le judaïsme de France ; il les a placées dans une symbiose réconfortante pleine de grâce et de beauté. Si les initiales de RaCHi veulent dire Rabbi CHelomo Itshaki, elles veulent dire également Rabbane Chel Israël, « Le Maître de tout Israël ».