
Camenulae no7 – juin 2011 Anne BOICHÉ
LE PROFANE ET LE SACRÉ DANS L’EXÉGÈSE DE PHILON D’ALEXANDRIE
Philon d’Alexandrie est un exégète juif de la première moitié du Ier siècle après J.-C. qui nous a laissé une œuvre importante (plus de quarante traités), particulièrement représentative du judaïsme alexandrin et de son ouverture à l’hellénisme : Philon lit en effet la Bible, non en hébreu, mais en grec – la Septante –, il est imprégné de culture grecque, et il rappelle d’ailleurs, dans l’un de ses traités, qu’il a lui-même parcouru le cycle d’études qui constitue la culture, la paideia de l’homme hellénistique1. Ce qui est remarquable, c’est que Philon reste à l’intérieur même de cette culture et de cette langue grecque, dans laquelle ont été exprimés les concepts philosophiques qu’il connaît et dont il se sert, alors pourtant qu’il cherche à exprimer une réalité étrangère à la philosophie : celle de la Révélation. Ce qu’il faut donc chercher à comprendre, en étudiant Philon d’Alexandrie, c’est la manière unique qu’a l’Alexandrin de mêler judaïsme et hellénisme et d’utiliser les concepts et les images de la philosophie, parfois en les adaptant, en les transformant, en les déplaçant, mais toujours au service de son exégèse, comme une sorte de « langue de la raison » qui lui permet de traduire en des termes universels la parole de Dieu2.
S’intéresser aux notions de « profane » et de « sacré », telles qu’on les rencontre dans l’œuvre de Philon, permet de comprendre et d’illustrer cette manière de faire. La distinction entre le profane et le sacré, de même que la distinction entre le pur et l’impur, est en effet centrale dans l’Ancien Testament, et Philon, qui est avant tout fidèle au texte biblique, reprend cette distinction à son compte, l’explique, la développe. Mais à partir de sa source scripturaire, il élabore progressivement sa propre réflexion, par le biais de l’allégorie, et ainsi, en vient à une définition plus générale et plus personnelle du profane et du sacré qui, si elle s’éloigne de la stricte définition biblique, lui permet d’exprimer dans des termes plus philosophiques ce qu’est la transcendance divine par rapport au monde profane.
Pour mieux comprendre la manière dont se construit, à ce sujet, la réflexion de Philon, nous verrons d’abord comment celui-ci reprend et développe la distinction biblique fondamentale entre le sacré et le profane ; puis, nous observerons la manière dont Philon intériorise cette distinction, qui était avant tout extérieure et rituelle dans la Bible ; enfin, nous nous demanderons si l’Alexandrin ne dépasse pas la définition biblique de ces termes dans une réflexion plus philosophique sur le statut de l’homme par rapport à un Dieu transcendant.
LA SÉPARATION BIBLIQUE DU SACRÉ ET DU PROFANE
Pour comprendre ce que dit Philon du sacré et du profane, il faut d’abord s’interroger sur l’origine biblique de ces termes et tenter de comprendre la manière, parfois complexe, dont, dans la Bible, le profane se définit par opposition au sacré, le pur par opposition à l’impur. L’impureté, telle qu’elle est définie dans le Lévitique, est une notion strictement rituelle : elle est, par exemple, apportée par le contact avec certains animaux ou objets impurs3, ou encore par certaines maladies, comme la lèpre4. Celui qui est touché par l’impureté ne peut participer au culte, dans un certain délai, ou tant que n’ont pas été accomplis lavages ou sacrifices, selon l’origine et la cause de l’impureté. Les règles du pur et de l’impur apprennent donc déjà que l’accès au culte et au sacré n’est pas une évidence ; elles apprennent déjà à distinguer et à séparer ce qui est pur de ce qui est impur.
Le vocabulaire biblique de la sanctification et de la profanation
Cette idée de séparation se retrouve dans la définition biblique du sacré et du saint. Ce que l’on traduit en français par les mots distincts « sacré » et « saint » vient en réalité d’un seul et même mot hébreu5, formé sur la racine q-d-sh, et que les traducteurs de la Septante, vers les IIIe et IIe siècles avant J.-C., ont le plus souvent rendu par le mot ἅγιος et ses dérivés (ἁγιάζω, ἁγίασμα).
Or, cette racine hébraïque est fondée sur l’idée même de séparation : le verbe hiqdish, formé sur cette même racine, signifie ainsi : mettre de côté un objet pour la divinité, le mettre à part, c’est-à-dire le consacrer6. Rendre saint, consacrer, en hébreu, c’est donc séparer, mettre de côté, soustraire à un usage profane7. Le sacré, dans la Bible, est donc clairement défini par opposition au profane, et inversement : le verbe βεβηλῶ, que les traducteurs de la Septante ont forgé à partir de l’adjectif βέβηλος (qui désigne à l’origine l’endroit où l’on peut marcher et par extension le profane)8, permet de traduire le verbe hébreu ḥalal, « profaner », c’est-à-dire faire un usage non saint d’un lieu, d’un temps, d’un objet, d’un mot. Ce vocabulaire, en hébreu comme en grec, a, pour longtemps, contribué à définir le sacré, le saint, comme ce qui est séparé du profane.
De fait, certains passages bibliques rapprochent explicitement l’idée de sainteté et celle de séparation : le lieu où se tient Moïse lorsque Dieu se manifeste est « saint », et Dieu s’adresse à ce dernier en disant : « Sépare la montagne et sanctifie-la » (Ἀφόρισαι τὸ ὄρος καὶ ἁγίασαι αὐτό, Ex., 19, 23). La séparation, à l’origine de la sanctification, concerne ici un lieu, mais elle peut aussi bien s’appliquer à une communauté humaine : dans le livre du Lévitique, Dieu dit au peuple élu : « Vous serez saints pour moi, car je suis saint, moi, le Seigneur votre Dieu, qui vous ai séparés des nations, afin que vous soyez à moi. » (καὶ ἔσεσθέ μοι ἅγιοι, ὅτι ἐγὼ ἅγιος κύριος ὁ θεὸς ὑμῶν ὁ ἀφορίσας ὑμᾶς ἀπὸ πάντων τῶν ἐθνῶν εἶναι ἐμοί)9. Le même verbe ἀφ-ορίζω qui permet d’exprimer la délimitation, la séparation, la mise à l’écart, est utilisé ici : c’est parce qu’il est séparé, mis à part, que le peuple d’Israël est un peuple choisi, élu.
L’élection d’Israël trouve toute sa force dans ce passage : elle se comprend à la fois comme un choix, une séparation, et, par conséquent, comme une sanctification10. Enfin, le passage biblique qui exprime le plus clairement et le plus explicitement la nécessité de séparer ce qui est profane de ce qui est sacré, se trouve dans le livre du Lévitique, où est formulé le commandement, pour les prêtres, de « faire séparation entre les choses saintes et les choses profanes, entres les impures et les pures » (διαστεῖλαι ἀνὰ μέσον τῶν ἁγίων καὶ τῶν βεβήλων καὶ ἀνὰ μέσον τῶν ἀκαθάρτων καὶ τῶν καθαρῶν, Lév., 10, 10) : ce passage est remarquable, car c’est l’un des seuls lieux bibliques où l’hébreu utilise les substantifs « sacré » (qodesh) et « profane » (ḥol), en les opposant l’un à l’autre (on trouve plus souvent l’opposition entre les mots qidesh et ḥilel, « consacrer » et « profaner »).
L’interprétation philonienne du livre du Lévitique
Or, de manière intéressante, c’est ce passage du Lévitique, qui formule explicitement une nécessaire séparation entre le sacré et le profane, que choisit de commenter Philon à plusieurs reprises. Étudier comment il construit son exégèse à partir de cette citation, permet de mieux comprendre la manière dont il choisit certains passages bibliques et les explicite, allant parfois jusqu’à s’éloigner progressivement de leur seul sens littéral.
Tout d’abord, l’Alexandrin cite parfois littéralement ce passage du Lévitique, en rappelant, dans son exégèse, le commandement de distinguer ce qui est saint de ce qui est profane, ce qui est pur de ce qui est impur : c’est le cas, pour ne citer qu’un seul exemple, dans le traité De Ebrietate, au paragraphe 127. Mais on trouve ailleurs un passage où, citant sa source scripturaire de manière plus lointaine, il y ajoute une autre distinction, celle entre le juste et l’injuste (νομίμων καὶ παρανόμων)11.
En complétant ainsi la citation du Lévitique, Philon reste proche du texte biblique, puisqu’en Ezéchiel, 44, 23-24, cette même citation est immédiatement rapprochée de l’idée de justice12, mais il le reformule à l’aide d’un vocabulaire plus spécifiquement grec. En effet, les adjectifs νομίμος et παρανόμος sont par exemple utilisés et opposés par Platon, dans Le Politique, au sujet des différents types de gouvernement, Platon ajoutant d’ailleurs dans le même passage que le meilleur type de gouvernement « doit être séparé (ἐκκρίνω) de tous les autres, comme Dieu est séparé des hommes »13. On devine ici une autre source à la réflexion de Philon que sa seule source scripturaire. Mais c’est en restant absolument fidèle à la distinction biblique fondatrice et constitutive entre le profane et le sacré, de même qu’à la définition biblique de la justice, que Philon rencontre, dans son travail de reformulation, la tradition grecque.
Dans un autre passage14, approfondissant encore davantage sa réflexion au sujet du profane et du sacré, il expose l’idée selon laquelle la loi (νόμος) est en elle-même un principe de distinction et de discrimination :
Νόμου δὲ καὶ παιδείας ἴδιον βέβηλα ἁγίων καὶ ἀκάθαρτα καθαρῶν διαστέλλειν, ὡς ἔμπαλιν ἀνομίας καὶ ἀπαιδευσίας εἰς ταὐτὸν ἄγειν τὰ μαχόμενα βιάζεσθαι φυρούσης τὰ πάντακαὶ συγχεούσης.
Le propre de la loi et de la culture est de distinguer le profane du sacré, l’impur du pur, comme à l’inverse, le propre de l’absence de loi et de culture est de rassembler de force des choses qui se combattent puisqu’elle mêle et confond tout.
On voit bien ici comment Philon passe tout naturellement des « règles » (τὰ νόμιμα) édictées dans le livre du Lévitique et dans le livre d’Ezéchiel, à l’idée du « juste » et de « l’injuste » (νόμιμος καὶ παράνομος), puis à l’idée même de loi (νόμος) et d’absence de loi (ἀνομία). Or, l’idée d’une absence de loi n’est tout simplement pas envisageable dans la Bible, puisque dès la Création, Dieu donne à l’homme un commandement, celui de ne pas manger du fruit de l’arbre de la connaissance. Puis, l’ensemble de l’histoire de l’Alliance entre Dieu et les hommes, est rythmé par le respect de la Loi, de la Torah, donnée par Dieu ou au contraire par le manquement à celle-ci : garder et observer les commandements, c’est sauver son âme, comme il l’est rappelé dans le livre des Proverbes15.
L’homme peut certes être pécheur, ne pas respecter la Loi, s’en moquer, mais même alors, il est toujours défini par son rapport à la Loi16. L’absence de loi, l’ἀνομία n’est donc pas une notion biblique et, lorsqu’on rencontre le terme « ἀνομία » dans la traduction des Septante, c’est toujours pour désigner une injustice, une violation de la loi17, mais non une absence de loi. On trouve en revanche ce sens, une fois encore, chez Platon18, le mot ἀνομία étant alors rapproché de l’ἀναρχία : Philon est davantage proche du sens platonicien dans ce passage et l’on comprend comment la distinction biblique entre profane et sacré est l’occasion pour Philon d’une prise de recul, et d’une réflexion sur la loi en général, comme un principe intrinsèque de distinction, de séparation et d’ordre. On voit ici que l’exégèse de Philon ne va jamais à l’encontre du texte biblique, mais que, dès l’instant où il pense dans une culture différente, et où il cherche à traduire la Loi de Moïse en des termes universels, les mots qu’il choisit, les concepts qu’il utilise sont producteurs d’une réflexion nouvelle.
Cet exemple se situe encore dans le prolongement de la distinction biblique fondamentale entre le profane et le sacré, même si Philon prend un certain recul par rapport à la définition, avant tout rituelle, de ces notions, qui était donnée dans la Bible. Il s’agira de voir, dans un deuxième temps, comment Philon accentue et renforce cette distinction entre profane et sacré, en en faisant une distinction intérieure.
L’INTÉRIORISATION DE LA DISTINCTION ENTRE SACRÉ ET PROFANE
La distinction biblique entre les temps profanes et les temps sacrés, entre les lieux profanes et les lieux sacrés, est évidemment connue de Philon et reprise par lui, mais il lui ajoute une autre distinction, morale, plus importante encore à ses yeux : ce sont pour lui les pensées des hommes qui peuvent être qualifiées de profanes ou de sacrées, selon l’objet vers lequel elles se tournent : Παρὸ καὶ πολλάκις ἐν βεβήλοις ὄντες χωρίοις τινὲς κατὰ τὴν οὐσίαν ἐν ἱερωτάτοις ὑπάρχουσι φαντασιούμενοι τὰ ἀρετῆς, καὶ ἔμπαλιν ἐν τοῖς ἀδύτοις ὑπάρχοντες ἄλλοι τὴν διάνοιάν εἰσι βέβηλοι, τῷ τροπὰς πρὸς τὸ χεῖρον καὶ τύπους αὐτὴν λαμβάνειν φαύλους19.
Ainsi souvent, certains étant substantiellement dans des endroits profanes se trouvent dans les considérations les plus sacrées en se représentant ce qui touche à la vertu ; et d’autres inversement se trouvant dans les sanctuaires, ont une pensée profane, parce que leur pensée reçoit des influences et des empreintes mauvaises.
On voit ici que Philon ne se contente pas d’ajouter une définition nouvelle, intériorisée, du profane et du sacré : cette nouvelle définition dépasse, à ses yeux, la distinction rituelle entre l’espace sacré et l’espace profane, au point qu’elle peut s’y opposer. Le paradoxe qu’il exprime est renforcé par la construction de la phrase, le parallélisme entre les expressions « ἐν βεβήλοις » et « ἐν ἱερωτάτοις » appuyant ce qu’il y a d’inattendu et de surprenant dans l’assertion philonienne.
La distinction qui doit être faite entre profane et sacré s’applique donc aussi bien aux temps, qu’aux lieux, et enfin aux pensées des hommes, et on observe chez Philon une gradation entre ces trois aspects, comme si la profanation de la pensée était finalement la plus grave. Cette gradation est perceptible dans les paragraphes 92 à 97 du traité De Cherubim, où Philon parle du vice et des débauches lors de certaines fêtes et assemblées profanes, « chez nous » (παρ’ ἡμῖν) : le pronom ἡμῖν n’est pas précisé davantage, laissant le lecteur hésitant quant à l’identité du groupe visé par les reproches virulents de Philon. En tout cas, le résultat des débauches décrites est d’abord une perte des limites temporelles : Philon parle au paragraphe 92 d’un « sommeil en plein jour, quand c’est juste le moment d’être réveillé » et d’une « inversion de l’ordre naturel des travaux » (ὕπνος ἐν ἡμέρᾳ, ὁπότε καιρὸς ἐγρηγόρσεως, φύσεως ἔργων ἐναλλαγή).
Ce manquement à l’ordre naturel du temps, entraîne rapidement un manquement au respect des lieux sacrés, lorsque le vice outrepasse les frontières des lieux profanes (« χωρίοις βεβήλοις ») :
Καὶ μέχρι μὲν <ἐν> οἰκίαις ἢ χωρίοις βεβήλοις ἀσχημονοῦσιν, ἧττον ἁμαρτάνειν μοι δοκοῦσιν· ἐπειδὰν δὲ ὥσπερ χειμάρρου φορὰ πάντῃ νεμηθεῖσα καὶ ἱερῶν τοῖς ἁγιωτάτοις προσπελάσασα βιάσηται, τὰ ἐν τούτοις εὐαγῆ πάντα εὐθὺς ἔρριψεν, ὡς ἀπεργάσασθαι θυσίας ἀνιέρους, ἱερεῖα ἄθυτα, εὐχὰς ἀτελεῖς, ἀμυήτους μυήσεις, ἀνοργιάστους τελετάς, νόθον εὐσέβειαν, κεκιβδηλευμένην ὁσιότητα, ἁγνείαν ἄναγνον, κατεψευσμένην ἀλήθειαν, βωμολόχον θεραπείαν θεοῦ.
Tant qu’ils étalent leur indécence dans des maisons ou des lieux profanes, leur faute me paraît moins grave. Mais lorsque leur courant, comme celui d’un torrent, se répand partout, rejoint dans sa violence les plus saints des lieux sacrés, il fait aussitôt tomber tout ce qu’il y en eux de sanctifié, et l’on aboutit à des cérémonies sacrilèges, à des sacrifices non agréés, à des prières vaines, à des initiations qui n’en sont pas, à des célébrations non accomplies, à une piété bâtarde, à une sainteté altérée, à une pureté polluée, à une vérité falsifiée, à un service de Dieu devenu une bouffonnerie.
La nécessaire distinction biblique entre le profane et le sacré est ici appuyée et accentuée : s’il n’y a plus de limites spatiales, si le « torrent » du vice envahit tout, franchissant même les frontières les plus sacrées, toute conception du sacré ou de la sainteté est vaine et réduite à néant. On retrouve ici une définition du sacré qui est étroitement liée à l’idée de séparation. Philon, dans un raisonnement qu’il présente comme personnel (μοι δοκοῦσιν) pousse à l’extrême cette logique : s’il n’y a plus d’espace sacré, mis à l’écart et séparé du profane, la sainteté, la pureté, la vérité même ne peuvent plus exister.
C’est ce que montre, dans ce texte très écrit, la juxtaposition d’un adjectif antithétique à chaque nom avancé : les cérémonies, qui devraient être un moyen d’accès à la sainteté, deviennent au contraire non saintes (ἀν-ίερος), tandis que les sacrifices eux-mêmes (on observe le glissement entre les deux mots de la même famille ἀνιέρους et ἱερεῖα) deviennent non consacrés, non acceptés comme sacrifice, ce que traduit l’adjectif ἄ-θυτος. Le raisonnement de Philon culmine avec l’évocation des vertus essentielles que sont la piété et la sainteté. On voit, dès lors, comment, chez ces hommes qui n’ont plus rien de pur ni de saint (εὐαγής), le fait de ne pas respecter la frontière temporelle et spatiale entre le profane et le sacré, entraîne une perte de toute notion morale de ce qu’est le profane et le sacré.
Philon peut alors poursuivre et amplifier son raisonnement (πρὸς τούτοις), au paragraphe suivant, en évoquant ceux qui nettoient et purifient leur corps, mais non leur âme, qui vont au temple en robe blanche, mais n’ont pas honte d’introduire au plus sacré du sanctuaire une pensée souillée (διάνοιαν κεκηλιδωμένην ἄχρι τῶν ἀδύτων εἰσάγοντες οὐκ αἰδοῦνται). De même, Philon semble commenter indirectement l’injonction du Lévitique de sacrifier des animaux « irréprochables » (ἄμωμος)20, lorsqu’il fustige ceux qui éloignent de l’autel les animaux qui ne sont « ni complets ni intacts », alors qu’eux mêmes sont « amputés et mutilés » (ἠκρωτηριασμένοι καὶ ἐκτετμημένοι) de leur raison, de leur courage, de leur justice, de leur piété (φρόνησιν καρτερίαν δικαιοσύνη εὐσέβειαν). Si l’on excepte le mot « piété », ce sont là des vertus couramment vantées dans l’Antiquité, qui évoquent par exemple les vertus de φρόνησις, ἀνδρεία et δικαιοσύνη (jointe alors à la σωφροσύνη) énumérées par Platon dans les Lois21. Cette reformulation allégorique, en des termes moraux, des lois sacrificielles de l’Ancien Testament constitue bel et bien une spiritualisation de la Loi, plus exigeante encore que le seul accomplissement d’ablutions ou de sacrifices22.
C’est cette intériorisation des notions de profane et de sacré qui permet à Philon, par extension, de désigner certains vices comme profanes, et certaines vertus comme un moyen d’accès à la sainteté : dans les Lois Spéciales (I, 150), il explique ainsi que le désir (ἐπιθυμία) est profane, impur et sacrilège (βέβηλος καὶ ἀκάθαρτος καὶ ἀνίερος), tandis que la maîtrise de soi (ἐγκράτεια) peut « toucher les autels sacrés » (βωμῶν ἱερῶν ψαυέτω). Dans ce même passage, Philon précise qu’il faut s’exercer et s’appliquer (ἀσκητέον καί διαπονητέον) à la maîtrise de soi, et qu’il faut chercher à l’acquérir par tous les moyens : on peut en déduire que l’homme, par l’ascèse et par l’effort, opère un passage progressif du désir à la maîtrise de soi, du vice à la vertu, mais aussi, par conséquent, du profane au sacré. C’est donc parce qu’il fait du profane et du sacré des notions intériorisées, moralisées, que Philon dépasse la discontinuité qui était présente dans la Bible entre ces deux notions, avant tout rituelles, et, dans une compréhension plus dynamique de ce que sont le profane et le sacré, fait de l’homme un « progressant », en chemin du profane vers le sacré.
L’HOMME : UN « PROGRAMME » SUR LE CHEMIN QUI CONDUIT DU PROFANE AU SACRÉ
Pour comprendre la manière dont Philon déplace ainsi le couple biblique du profane et du sacré, et rend possible l’idée d’un progrès entre les deux, il faut d’abord comprendre la manière dont il définit parfois le monde des hommes comme profane, dans son ensemble, et éloigné de la sainteté qui est celle de Dieu seul. Lorsqu’il interprète le passage du Lévitique qui commande de « séparer le profane du sacré, le pur de l’impur », nous avons vu que Philon reprenait la séparation biblique, l’accentuait, la reformulait parfois. Mais, à d’autres moments, à partir de cette idée de séparation entre le profane et le sacré, il va jusqu’à dire : Ἀφελεῖς οὖν, ὦ ψυχή, πᾶν γενητὸν θνητὸν μεταβλητὸν βέβηλον ἀπὸ ἐννοίας τῆς περὶ θεοῦ τοῦ ἀγενήτου καὶ ἀφθάρτου καὶ ἀτρέπτου καὶ ἁγίου καὶ μόνου μακαρίου23. Tu sépareras donc, mon âme, tout ce qui est créé, mortel, changeant, profane, de ta conception de Dieu, incréé, immortel, immuable, saint et seul bienheureux.
Ici, l’opposition entre le profane et le sacré n’est plus seulement rituelle ; elle n’est même plus seulement intériorisée et moralisée : le profane, relégué du côté de la création tout entière (γένεσις), est rapproché de tout ce qui est corruptible et changeant, tandis que Dieu seul, parce qu’il est seul immuable et immortel, mérite réellement d’être appelé « saint ». De la même manière, dans un passage du De mutatione nominum (104), le profane est opposé au sacré dans une énumération qui oppose également l’humain au divin, le mortel à l’immortel, le paraître à l’être (τὸ δοκεῖν, τὸ εἶναι). Il est intéressant de constater que cette conception du profane et du sacré ne se trouve absolument pas dans la Bible, mais qu’elle permet néanmoins à Philon d’exprimer, dans le langage de la philosophie, et à partir des notions bibliques de profane et de sacré, la transcendance divine. On comprend ici la place originale qu’occupe Philon, à mi-chemin entre la tradition grecque et la tradition juive : le vocabulaire de l’incorruptibilité est en effet repris aux auteurs grecs (on trouve des termes très proches chez Aristote, De Caelo, 280, a-b), mais Philon ne l’applique plus au Dieu des philosophes : il l’applique au Dieu d’Israël ; à l’inverse, la séparation que l’on trouvait dans la Bible entre le profane et le sacré, est utilisée par Philon, bien que déplacée par rapport à son sens premier, pour accentuer l’idée grecque d’un Dieu immortel, immuable, incréé et rigoureusement séparé de sa création.
Mais, dans cette conception idéale et exclusive de la sainteté divine, on peut se demander quelle est la relation que l’homme peut encore entre entretenir avec le sacré, lui qui fait partie intégrante de la γένεσις et du monde profane : lui est-il possible de s’élever du sensible à l’intelligible, du profane au sacré ? Pour Philon, l’homme, parce qu’il est créé, mortel et changeant, ne peut certes espérer atteindre la sainteté parfaite qui est celle de Dieu, mais il peut néanmoins chercher à s’en approcher, à « progresser » vers la sainteté24. Les notions de profane et de sacré sont le plus explicitement rapprochées du thème du progrès, à la fin du traité De fuga et inventione. Philon y donne une interprétation allégorique du lieu où se trouve le puits d’Agar (dans l’exégèse de Philon, Sara symbolise la vertu et Agar, le cycle des études, propédeutique de la vertu et route vers celle-ci) et il affirme : Oἰκειότατος δὲ καὶ ὁ τοῦ τοιούτου φρέατος τόπος « ἐν μέσῳ Κάδης καὶ Βαράδ »· ἑρμηνεύεται δὲ Βαρὰδ μὲν ἐν κακοῖς, Κάδης δὲ ἁγία· μεθόριος γὰρ ἁγίων καὶ βεβήλων ὁ ἐν προκοπαῖς, ἀποδιδράσκων μὲν τὰ φαῦλα, μῆπω δ’ἱκανὸς ὢν τελείοις συμβιοῦν ἀγαθοῖς.
La situation d’un tel puits est tout à fait appropriée, « entre Kadès et Béred » : Béred se traduit par « dans les maux », Kadès par « ce qui est saint ». Celui qui progresse est en effet, à la limite du saint et du profane : il fuit le mal, sans être encore en mesure de vivre avec le bien parfait.
Ce texte, par le biais d’une interprétation étymologique plus ou moins exacte des toponymes hébreux, semble établir une continuité entre le profane et le sacré, un mouvement possible de l’un à l’autre. Dans la Bible, cette continuité est absolument impossible : un objet profane peut être consacré, sous certaines conditions, mais il est alors, aussitôt, considéré comme absolument saint : la notion de progrès est entièrement étrangère au couple biblique du profane et du sacré. Lorsque Philon dit dans les Lois spéciales qu’il faut « multiplier les moyens de purifier les choses profanes, tant immatérielles que corporelles25, pour les changer en mieux » (Toὐναντίον γὰρ τοῖς βεβῆλοις καὶ πράγμασι καὶ σώμασι καθαρσίων εὐπορητέον εἰς τὴν ἀμείνω μεταβολὴν), il utilise, de même, une terminologie (« changer en mieux ») absente du texte biblique.
Le terme de προκοπή, pour désigner le progrès moral, appartient en revanche au vocabulaire des Stoïciens ; il s’agit d’ailleurs pour eux d’une notion problématique. L’éthique stoïcienne est en effet fondée sur la dichotomie radicale du bien et du mal, l’absence d’état intermédiaire entre ces deux pôles impliquant un passage instantané de l’un à l’autre. L’homme est complètement mauvais et ignorant, jusqu’à ce qu’il soit entièrement bon et sage. Malgré tout, il est impossible pour les Stoïciens de renier toute possibilité d’un progrès moral : ceux-ci défendent donc l’idée selon laquelle l’homme progresse, tout en restant intrinsèquement mauvais, tant qu’il n’a pas atteint la parfaite sagesse26. C’est ce paradoxe que présente Sénèque, dans la Lettre 75 à Lucilius, lorsqu’il définit les « proficientes » : Qui proficit in numero quidem stultorum est, magno tamen interuallo ab illis diducitur.
Celui qui progresse, quoiqu’il soit encore au nombre des ignorants, en est cependant séparé par un grand intervalle.
Plutarque, un peu après Philon, s’insurgera contre cette conception stoïcienne, dans le traité intitulé Comment on peut s’apercevoir que l’on progresse dans la vertu (De profectibus in virtute), et défendra l’idée selon laquelle l’âme se débarrasse petit à petit de ses souillures : pour lui, le vice diminue et s’efface peu à peu comme une ombre, à mesure que la sagesse vient éclairer l’âme27.
Les critiques ont rappelé que Philon, quant à lui, ne prenait pas partie dans cette controverse philosophique et se contentait d’exploiter des matériaux de provenance stoïcienne pour éclairer sa propre compréhension d’un passage de l’Écriture28. Il est toutefois intéressant de constater qu’il connaît, de toute évidence, le vocabulaire utilisé par les Stoïciens et que, dans le cadre d’une réflexion sur le profane et le sacré, son point de vue n’est pas si éloigné de celui du stoïcisme : l’homme est créé, mortel, changeant, et à ce titre, reste imparfait, « profane » – ce qui ne l’empêche pas de progresser vers la sagesse et la sainteté. Les similitudes avec la pensée stoïcienne s’arrêtent cependant là, et c’est en cela que l’on peut avec raison affirmer que Philon n’utilise les concepts philosophiques que comme un matériau au service de son exégèse. La sagesse des Stoïciens est en effet bien différente de la sainteté qu’évoque Philon.
La sagesse, pour Philon, ne peut être le résultat des efforts de l’homme seul : elle ne peut venir que de Dieu : Διόπερ εὔχεται Μωυσῆς αὐτῷ τῷ θέῷ χρῆσθαι ἡγεμόνι πρὸς τὴν πρὸς αὐτὸν ἄγουσαν ὁδόν· λέγει γάρ· « εἰ μὴ αὐτὸς σὺ συμπορεύῃ, μή με ἀναγάγῃς ἐντεῦθεν »· διότι πᾶσα κίνησις ἡ ἄνευ θείας ἐπιφροσύνης ἐπιζήμιον, καὶ ἄμεινον ἐνταυθοῖ καταμένειν τὸν θνητὸν βίον ἀλητεύοντας, ὡς τὸ πλεῖστον ἀνθρώπων γένος, ἢ πρὸς τὸν οὐρανὸν ἐξάραντας ἑαυτοὺς ὑπὸ ἀλαζονείας ἀνατραπῆναι· καθάπερ μυρίοις συνέβη τῶν σοφιστῶν.
C’est pourquoi Moïse prie pour que Dieu soit lui-même son guide vers la route qui mène jusqu’à lui : « Si tu ne marches pas toi-même avec moi, ne me fais pas monter d’ici. » (Ex., 33, 15), car tout mouvement qui se passe de la prudence divine est funeste, et mieux vaut rester là, dans l’errance de la vie mortelle, comme le font la plupart des hommes, plutôt que de s’élever soi-même vers le ciel, s’enorgueillir et tomber à la renverser, comme il est arrivé à nombre de sophistes29.
La séparation entre le monde profane et un Dieu transcendant n’empêche donc pas tout accès à la sainteté pour l’homme. Lorsque Philon affirme, dans le traité De plantatione (53) : « Il se trouve que tu es, maître, le créateur du bien et du saint, comme aussi tout ce qui naît corruptible est source du profane », il établit bel et bien une séparation entre le domaine du profane et celui du sacré, entre le monde corruptible et Dieu, immuable et saint ; mais il n’en reste pas moins que la sainteté est donnée par Dieu, à l’homme qui la demande et qui progresse vers lui : Εἰσαγαγών, γάρ φησιν, ἡμᾶς οἷα παῖδας ἄρτι μανθάνειν ἀρχομένους διὰ τῶν σοφίας δογμάτων καὶ θεωρημάτων καὶ μὴ ἀστοιχειώτους ἐάσας ἐν ὑψηλῷ καὶ οὐρανίῳ λόγῳ καταφύτευσον. κλῆρος γὰρ οὗτος ἑτοιμότατος καὶ προχειρότατος οἶκος, ἐπιτηδειότατον ἐνδιαίτημα, ὃ « κατειργάσω ἅγιον »30.
Comme des enfants, qui commencent juste à apprendre, introduis-nous par l’entremise des préceptes et des principes de la sagesse, et ne nous laisse pas dans l’ignorance totale, mais implante-nous dans la raison élevée et céleste. Car c’est un lot tout prêt, une maison toute disposée ; c’est la demeure la plus convenable que tu as construite pour la sanctifier.
La création appartient donc bien au domaine du corruptible et du profane, mais le monde, en tant qu’il est créé par Dieu, « construit » par lui (De plantatione, 50) devient un « sanctuaire », un « rayonnement saint » (ἁγίων ἀπαύγασμα), parce que fait à l’image de Dieu : c’est lorsqu’ils sont introduits dans ce sanctuaire que les hommes peuvent à leur tour chercher à imiter la sainteté divine31, et progresser du monde profane d’où ils viennent, vers le monde sacré auquel ils aspirent.
Dans la Bible, le sacré est donc défini comme ce qui est mis à part, consacré, ce dont on ne peut plus faire un usage profane : à partir de cette définition biblique, et en cherchant avant tout à rendre compte de la signification du texte sacré, Philon élabore une réflexion qui oppose terme à terme le « profane » et le « sacré », à l’aide d’un vocabulaire qui lui vient de la tradition grecque. Nous avons vu comment notre auteur joue avec cette opposition, la reformule, la transpose au domaine de l’intériorité, et va jusqu’à s’éloigner du sens littéral du texte biblique, lorsque, dans un cadre plus philosophique, il affirme que le profane s’oppose au sacré, comme le créé s’oppose à l’incréé, le corruptible à l’incorruptible. C’est dans ce cadre philosophique qu’il peut envisager l’homme comme progressant du profane au sacré, parce que conduit à la sainteté par Dieu lui-même. La distinction biblique entre ces deux notions devient alors, de manière originale, le lieu de rencontre entre l’homme et Dieu, dans une vision qui, si elle s’éloigne du sens biblique rituel du profane et du sacré, permet à Philon de présenter et de définir un peu mieux le Dieu de l’Ancien Testament, à la fois transcendant et proche du peuple d’Israël. En étudiant l’usage que fait Philon des termes de « profane » et de « sacré », on comprend donc la manière qu’il a de ne pas se tenir au sens littéral du texte biblique, aussi bien que la liberté qu’il adopte par rapport aux concepts philosophiques, qu’il connaît et qu’il utilise, mais dont il n’est jamais esclave.
BIBLIOGRAPHIE
TEXTES
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PHILON D’ALEXANDRIE : les ouvrages cités sont édités et traduits aux Éditions du Cerf.
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1 De Congressu, 74-76. Voir aussi M. Alexandre, « La culture profane chez Philon », Philon d’Alexandrie : Actes du Colloque national de Lyon, Paris, éditions du CNRS, 1967, p. 105-130.
2 V. Nikiprowetzky, Le Commentaire de l’Écriture chez Philon d’Alexandrie, Leyde, E.J. Brill, 1977, p. 6.
3 Lévitique, 11, 24-40.
4 Lévitique, 13.
5 Sur ces distinctions et les problèmes de traduction que cela pose, voir La Bible des Septante : Le Pentateuque d’Alexandrie, Paris, Éditions du Cerf, 2001 : article « consacrer », p. 872.
6 W.W. Baudissin, Studien zur semitischen Religionsgeschichte, Leipzig, Heft II, 1898.
7 Cette idée est reprise dans les commentaires rabbiniques : voir par exemple Midrash Rabbah, chap XXIV, Kedoshim : « Le Saint, béni soit-il, dit à Moïse : Va et dis à Israël : Mes enfants ! De même que je suis séparé, soyez vous aussi séparés ; de même que je suis saint, soyez vous aussi saints. ».
8 Dictionnaire étymologique de la langue grecque de P. Chantraine, t.1, Paris, Éd. Klincksieck, 1968, « βέβηλος », p. 172.
9 Lévitique, 20, 26. (Le grec est suivi, sauf mention contraire, d’une traduction personnelle). De même, c’est parce qu’Israël consacre et sanctifie le jour du sabbat, que Dieu, par là même, consacre et sanctifie son peuple. Or, le jour du sabbat est saint parce que séparé des autres jours, profanes, comme le rappelle la prière d’Habdalah, à la clôture du sabbat : « sois loué Éternel, notre Dieu, roi de l’Univers qui sépare le sacré du profane, la lumière des ténèbres, Israël des autres peuples, le septième jour des jours ouvrables. Sois loué, Éternel, qui sépare le sacré du profane. ». Voir, à ce sujet, M. Alexandre, Le commencement du Livre : Genèse, I-V, la version des Septante et sa réception, Paris, Beauchesne, 1988.
10 Deutéronome, 14, 2 : « Tu es un peuple saint pour le Seigneur ton Dieu, et le Seigneur ton Dieu t’as choisi (ἐξελέξατο) afin que tu sois pour lui un peuple d’exception (λαὸν περιούσιον) parmi toutes les nations qui sont sur la face de la terre. ».
11 De Specialibus legibus, I, 100 : εἰς διαστολὴν καὶ διάκρισιν ἁγίων καὶ βεβήλων καὶ καθαρῶν καὶ ἀκαθάρτων καὶ νομίμων καὶ παρανόμων.
12 Ezéchiel, 44, 23-24 : « Et [les prêtres] enseigneront à mon peuple la distinction du sacré et du profane et ils lui feront connaître la distinction du pur et de l’impur, […] et ils jugeront selon mes jugements et ils rendront justice selon ma justice, et ils garderont mes décisions et mes décrets (τὰ νόμιμά μου καὶ τὰ σάββατά μου) dans toutes mes solennités, et ils tiendront mes sabbats pour sacrés. » Dans le passage même du Lévitique qui nous intéresse, Dieu demande aux fils d’Aaron de distinguer le sacré du profane, l’impur du pur, et de montrer aux fils d’Israël « toutes les règles (τὰ νόμιμα) que le Seigneur leur a énoncées par l’intermédiaire de Moïse » (Lév., 10, 11).
13 Platon, Le Politique, 303 a-b : πασῶν γὰρ ἐκείνην γε ἐκκριτέον, οἷον θεὸν ἐξ ἀνθρώπων, ἐκ τῶν ἄλλων πολιτειῶν : car celui-là doit être séparé de tous les autres gouvernements, comme Dieu est séparé des hommes.
14 De Ebrietate, 143.
15 Proverbes, 19, 16 : « Celui qui garde le commandement veille sur son âme (shomer mitzvah, shomer nafsho), qui se moque de ses voies périra ».
16 Voir par exemple le Psaume 1, 1-2 : « Heureux l’homme qui ne suit point les conseils des méchants, qui ne se tient pas dans la voie des pécheurs et ne prend point place dans la société des railleurs (letzim), mais qui trouve son plaisir dans la Loi de l’Éternel, et médite cette Loi jour et nuit ».
17 Genèse, 19, 15 ; Exode, 34, 7 ; 34, 9 ; Lévitique, 16, 21, etc.
18 République, IX, 575a : Ἀλλὰ τυραννικῶς ἐν αὐτῷ ὁ Ἔρως ἐν πάσῃ ἀναρχίᾳ καὶ ἀνομίᾳ ζῶν, ἅτε αὐτὸς ὢν μόναρχος, τὸν ἔχοντά τε αὐτὸν ὥσπερ πόλιν ἄξει ἐπὶ πᾶσαν τόλμαν. Mais l’amour qui vit en lui tyranniquement en toute anarchie et absence de loi, parce qu’il est lui-même souverain, conduira celui qui le porte en son sein, comme le tyran conduit l’État, à tout oser.
19 Legum allegoriae, 62.
20 Lévitique,1,3;1,10;3,1;3,6,etc.
21 Lois, 965 d.
22 À ce sujet, voir V. Nikiprowetzky, « La spiritualisation des sacrifices et le culte sacrificiel au temple de Jérusalem chez Philon d’Alexandrie », Études philoniennes, Paris, Les Éditions du Cerf, 1996 : l’auteur montre bien comment Philon explique parfois le culte sacrificiel de manière allégorique et spiritualisée, mais sans jamais aller à l’encontre de la tradition juive.
23 De Sacrificiis, 101.
24 H. Weiss, « A Schema of “the Road” in Philo and Lucan », The studia philonica annual, vol. 1, Atlanta, Scholars Press, 1989, p. 43-57.
25 Pour cette traduction, voir la n. c. 4 de M. Harl à Quis rerum divinarum heres sit, 114.
26 Voir à ce sujet la thèse de G. Roskam, On the Path to Virtue: The Stoic Doctrine of Moral Progress and its Reception in (Middle-) Platonism, Leuven, Leuven University Press, 2005, ainsi que la critique qu’en a faite D. Babut, « La notion de progrès moral dans la pensée antique », Ploutarchos, n.s., 4 (2006/2007), p. 110-123.
27 Plutarque, Comment s’apercevoir qu’on progresse dans la vertu, 76b : « Nous, nous voyons que le mal, de quelque nature qu’il soit, et surtout le mal qui, non localisé, non défini, affecte l’âme, devient plus ou moins fort (et cette même différence se retrouve dans les progrès, les tendances mauvaises se dissipant comme l’ombre à mesure que la lumière de la raison insensiblement pénètre l’âme et la purifie dans toutes ses parties. » (traduction de R. Klaerr, A. Philippon et J. Sirinelli).
28 D. Babut, « La notion de progrès moral dans la pensée antique ».
29 De Migratione, 171. 30 De plantatione, 52. 31 Il ne s’agit donc pas de s’adapter à la nature telle qu’elle est (l’οἰκείοσις stoïcienne), mais plutôt de chercher à s’assimiler à Dieu (ὁμοίωσις τῷ θεῷ κατὰ τὸ δυνατόν, solution proposée par les médio-platoniciens, à partir du Théétète, 176b) : sur ces questions, voir C. Lévy, « Éthique de l’immanence, éthique de la transcendance : le problème de l’oikeiosis chez Philon », Philon d’Alexandrie et le langage de la philosophie, Turnhout, Brepols, 1998, p. 153-164.