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Bataille judiciaire autour de la liste de Schindler

À qui appartiennent les archives de celui qui a sauvé un millier de juifs de la Shoah ? Un procès historique s’ouvre à Jérusalem pour le déterminer.

Il est toujours étrange de juger une affaire lorsque les principaux protagonistes ne sont plus là pour témoigner. Et peut-être plus encore lorsque lesdits protagonistes s’appellent Oskar et Émilie Schindler. L’industriel allemand et son épouse, qui ont sauvé plus de 1 200 juifs des camps d’extermination – aujourd’hui décédés tous les deux -, se retrouvent en effet au coeur d’une virulente bataille judiciaire. Le tribunal de Jérusalem, qui ouvrait une séance préliminaire ce mercredi 15 avril, devra trancher une question décisive : à qui appartient la liste de Schindler ?

Tout commence en 1999 lorsque la fondation Yad Vashem, chargée en Israël de la conservation de tous les documents relatifs à la Shoah, reçoit une curieuse valise en provenance de Stuttgart en Allemagne. À l’intérieur : des centaines de documents, dont deux des quatre copies restantes de la liste de Schindler, tapée originellement en sept exemplaires. La valise, dont on ne saurait estimer la valeur historique et financière, vient d’être retrouvée par hasard dans le grenier d’une maison d’Hildesheim, en Basse-Saxe, chez une certaine Anne-Marie Staehr décédée quinze ans plus tôt. Ce sont ses fils qui en font la découverte en rangeant la maison familiale après la mort de leur père. Réalisant rapidement l’importance de leur trouvaille, ils décident de la transmettre à la presse qui en fait ses gros titres. Puis le journaliste allemand Ulrich Sahm expédie les précieux documents à la Fondation Yad Vashem afin qu’elle puisse les étudier de près et assurer leur conservation.

« Énorme injustice »

C’est là que les choses se compliquent. Émilie Schindler, partie vivre en Argentine après la guerre, apprend dans la presse l’existence de ces documents. Elle demande alors à son amie et biographe Erika Rosenberg de lui rapporter la valise à Buenos Aires. Mais trop tard, quand celle-ci se présente à la rédaction allemande du Stuttgarter Zeitung, la valise a déjà été expédiée en Israël. Une question essentielle se pose alors : que faisaient ces documents dans le grenier d’Anne-Marie Staehr ? Oskar Schindler lui en avait-il fait don ? C’est ici que les versions divergent. Selon Erika Rosenberg, Anne-Marie Staehr n’était autre que la maîtresse de Schindler, et celle-ci se serait rendue en douce chez ce dernier après sa mort, pour lui usurper les documents. Pour la Fondation Yad Vashem, il s’agirait ni plus ni moins d’un don. Apprenant que cette dernière n’avait nullement l’intention de lui restituer le trésor de son mari, Émilie dénonce une « énorme injustice ». « J’ai sauvé des juifs avec mon mari, et maintenant les juifs me prennent ma valise. Tu dois continuer à te battre pour moi, même après ma mort ! » aurait-elle demandé à son amie Erika, selon le journal israélien Haaretz.

En 2001, Émilie Schindler meurt sans laisser de descendant. Comme son époux, elle se voit honorée à titre posthume du titre de « Juste parmi les nations », la plus haute distinction civile décernée par Israël à des non-juifs ayant sauvé des vies pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est à ce moment-là que la guerre judiciaire commence véritablement. Désirant accomplir les dernières volontés de son amie, Erika Rosenberg, désignée exécutrice testamentaire, entame en 2013 une procédure judiciaire contre la Fondation Yad Vashem pour usurpation de propriété. Pour la Fondation, qui affirme « avoir obtenu ces documents de façon légale », cela n’a pas de sens dans la mesure où la valise n’a jamais appartenu à l’épouse de Schindler. D’un côté, on fait valoir les craintes d’un « commerce relatif à la Shoah ». De l’autre, on défend le « rétablissement des faits historiques ». Reste maintenant à savoir qui fera de cet imbroglio un film. Une Liste de Schindler 2 ?

Le point.fr