
Cette histoire n’est pas celle que l’on raconte négligemment par un beau week-end de Printemps. Elle nous renvoie à un des moments les plus atroces que l’humanité ait vécus. Notre devoir est de la rappeler de temps à autres afin d’éviter qu’un jour elle se reproduise. Cette histoire est celle de l’holocauste pendant la Seconde Guerre mondiale.
Parmi les hommes et les femmes qui ont été enfermés et exterminés se trouvaient des musiciens. Il y avait en effet, des musiciens qui jouaient dans les camps de concentration, pour accueillir les nouveaux prisonniers, pour accompagner leur torture ou leur marche vers les chambres à gaz. Il y avait même des orchestres pour donner des concerts-comme le célèbre orchestre de femmes d’Auschwitz qui était dirigé par Alma Rosé, nièce du grand compositeur Gustav Mahler.
Douze de ces violons ont été joués…
La quasi-totalité des musiciens ont été tués. Mais – bouleversant témoignage de leur vie et leur calvaire – certains de leurs violons ont été récupérés. Ils incarnent l’âme des violonistes qui ont souffert avec eux, et qui sont morts sans eux. Depuis vingt ans, un luthier israélien Amnon Weinstein cherche à trouver ces instruments un peu partout, dans des caves, dans des greniers, dans des débarras. Il les reconnait à une marque, à une étoile de David, à une inscription gravée sur le bois. La plupart sont dans un état misérable. Il les restaure. Il leur redonne vie. Il en a une cinquantaine à présent. Pas plus. Mais c’est un trésor immense pour l’Histoire.
En mai 2013, à l’instigation de Smadar Eisenberg, présidente des Amis du philharmonique de Monte-Carlo, un concert a été donné au Grimaldi Forum de Monte-Carlo, où douze de ces violons ont été joués.
L’instrument qu’avait entre les mains David Lefèvre, violoniste soliste de l’Orchestre de Monaco, a été entendu pour la dernière fois au camp de concentration d’Auschwitz. Il n’a plus joué dans un orchestre depuis lors. A la suite d’ahurissantes tribulations, l’instrument a été transporté de lieu en lieu, puis retrouvé. Sa restauration a été achevée il y a deux semaines. Il a rejoué pour la première fois lors de ce concert, près de 70 ans après. Il a été entendu dans une œuvre que le chef Gianliugi Gelmetti a composée spécialement pour ce concert. Tous les violons restaurés par Amnon Weinstein ont une histoire. L’une des plus émouvantes est celle de ce garçon juif, Motele, qui s’était acquis la confiance de soldats allemands en allant jouer de la musique à leur poste de commandement et qui un jour, bourra d’explosifs sa boite à violons pour faire sauter l’endroit. Le jeune violoniste est mort. Le violon est resté à l’extérieur. Neuf de ces violons ont été mis entre les mains des musiciens du Philharmonique de Monte-Carlo. A la fin de la répétition, certains de ces musiciens avaient des larmes aux yeux. L’une nous a dit « J’ai eu l’impression que ce n’était pas moi qui jouais sur ce violon mais ceux qui jadis, l’avaient eu en mains qui jouaient à travers moi ». Un autre nous a avoué : « Il fallait que je me concentre sur ma musique, sans ça l’émotion aurait été trop forte, je n’aurais pas pu jouer ».
Deux grands solistes.
Deux grands solistes se sont produits lors de ce concert, Cihat Askin et le célèbre Shlomo Mintz. Le violon du premier vient de Drancy. Sa restauration a été achevée fin 2012. Son histoire est saisissante. Lors du transfert des prisonniers de Drancy vers les camps de concentration allemands, un train tomba en panne en rase campagne. Un des cheminots appelés pour le dépannage entendit une supplication par la bouche d’aération des wagons à bestiaux dans lesquels étaient entassés les prisonniers : « Je ne sais qui vous êtes mais je vais à la mort. Faites vivre mon violon ! ».Et le prisonnier jeta son instrument à travers l’orifice. Le cheminot jura d’en prendre soin. Fini d’être restauré quinze jours avant le concert, on l’a entendu en 2013 sous les doigts de Cihat Askin.
Le violon avec lequel le célèbre Shlomo Mintz a joué le concerto de Tchaïkovsky est l’instrument du premier violon de l’orchestre de Vienne qui s’était enfui dans des conditions héroïques avec son violon sur une sorte de boat-people vers la terre de Palestine, avec un groupe de musiciens juifs.
Parmi les violons qui ont été joués, il y en avait un qui a appartenu au grand oncle d’un musicien de l’orchestre de Monaco, Thomas Ducloy. L’instrument, rescapé d’un stalag, comporte, gravé dans le bois, les noms des camarades de détention du prisonnier. Comme un témoignage pour l’Histoire.
Parmi tous les instruments de musique, c’est peut-être le violon qui a la plus forte charge d’âme. Chaque mois de septembre, on s’en rend compte dans notre région lors du festival « Violons de Légende » à Beaulieu. Les violons vibrent avec l’Histoire.
André Peyregni
Envoyé par Gisèle Ballet-Barbieux
Présidente départementale de l’association des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation